Prévenir les TCA

Nathalie Godart, pédopsychiatre (Institut Mutualiste Montsouris, Paris).

Renaud de Tournemire, pédiatre (CHI Poissy Saint Germain-en-Laye), Responsable de la commission « Médecine de l’adolescent » à la Société Française de Pédiatrie.

La prévention des TCA doit se jouer à plusieurs niveaux : par une action sur les facteurs de risque (estime de soi, anxiété) pour éviter leur apparition et par une prise en charge dès les premiers symptômes pour limiter le risque de complications somatiques, de chronicisation et toutes les conséquences sociales.

Le repérage précoce est un enjeu majeur de la prévention des Troubles du Comportement Alimentaire

Quels sont les principaux facteurs des TCA, sur lesquels une politique de prévention primaire peut agir ?

Des programmes de prévention sont développés à petite échelle, principalement dans les pays anglo-saxons. Ils ciblent la remise en question de l’idéalisation de la minceur véhiculée par les médias chez les enfants et les adolescents et l’acceptation de leur corps, ainsi que d’autres facteurs de risque tels que l’estime de soi, la régulation émotionnelle (anxiété, symptômes dépressifs). Agir sur ces deux derniers facteurs pourrait permettre une prévention plus large, des TCA mais plus globalement des troubles psychiques.

Vous insistez beaucoup sur l’importance de la prévention secondaire : le diagnostic précoce.

En France, comme dans les autres pays occidentaux, moins de la moitié des personnes souffrant de TCA déclarent avoir été pris en charge pour ces troubles et cela a de lourdes conséquences pour l’évolution de la maladie. Les études scientifiques ont en effet montré que le repérage précoce est un enjeu majeur pour les patients car une intervention thérapeutique plus rapide est le gage d’une efficacité supérieure des soins. L’aggravation des troubles au fil du temps précipite les personnes malades dans un véritable cercle vicieux : l’amaigrissement a des conséquences psychologiques et la maladie s’auto-entretient, aboutissant à des complications multiples, parfois mortelles.

L’isolement engendré par les TCA constitue aussi un cercle vicieux qu’il faut identifier et limiter pour prévenir leur aggravation.

Oui, dans les premiers mois de la maladie on note un isolement social important. Au collège ou au lycée, les pairs s’éloignent. Cela entraine un cercle vicieux, en renforçant la mésestime de l’individu concerné, déjà souvent importante. Le comportement alimentaire même, du fait de bizarreries ou d’une impossibilité de manger en présence de quelqu’un, vient majorer cet isolement. Enfin, en cas de dénutrition sévère, les hospitalisations, souvent longues, peuvent aussi, si l’on n’y prend pas garde, accentuer le manque de liens. Le service de Promotion de la Santé en faveur des élèves peut jouer un rôle important à travers des Projets d’Accueil Individualisé ou le maintien d’un lien pendant une hospitalisation.

Quels doivent être les principaux acteurs du repérage précoce des TCA et comment faciliter leur intervention ?

Ce sont les praticiens de première ligne (infirmières et médecins scolaires, généralistes, pédiatres) et les spécialistes consultés fréquemment pour des symptômes somatiques ou psychiques (tels que respectivement, aménorrhée, troubles digestifs, amaigrissement inexpliqués ou dépression, état anxieux, etc.). On pourrait faciliter leur action en les formant mieux aux symptômes des TCA, à leurs facteurs de risque. Par ailleurs on pourrait mener des actions de repérage dans les populations à risque (adolescents, milieux sportifs où le poids doit être contrôlé ou pour lequel la silhouette est soumise à des normes drastiques). Enfin, la structuration de l’offre de soins permettrait aussi aux acteurs de première ligne, d’orienter plus rapidement les patients vers des soins multidisciplinaires adaptés, gage d’une meilleure évolution.

On sait que les TCA peuvent avoir des complications multiples. Quelles sont-elles et comment les prévenir ?

Les TCA peuvent causer des problèmes somatiques tels que des retards de croissance et des retards pubertaires, ils impactent la fertilité des femmes en âge de procréer, ils favorisent le développement d’une ostéoporose précoce, ils causent des dégâts dentaires ayant des conséquences fonctionnelles et esthétiques. Ils se compliquent aussi de difficultés psychologique sincluant la dépression (dont des dépressions du post partum), les troubles anxieux, les troubles obsessionnels. Ils sont responsables de handicaps (somatique, psychique et social). Et ils sont responsables d’une mortalité prématurée considérable et évitable (de 6 à 12 fois celle de la population générale du même âge). Les études scientifiques ont montré que la prise en charge précoce et multidisciplinaire limite la survenue de ces complications.

Quelle place les TCA tiennent-ils parmi les maladies de l’enfance et de l’adolescence ?

Une étude épidémiologique a montré, aux Etats Unis, que l’anorexie mentale était la troisième maladie chronique après l’obésité et l’asthme. Si on élargit à l’ensemble des troubles des conduites alimentaires, ils tiennent tout simplement une place centrale. Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas rechercher des TCA alors qu’on interroge nos patients sur des thématiques comme le tabac, le cannabis, la sexualité, le sommeil, les idées suicidaires.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) distingue trois niveaux de prévention :

  • la prévention primaire permet d’éviter l’apparition de nouveaux cas.
  • la prévention secondaire correspond au diagnostic précoce qui permet de prendre en charge la maladie avant qu’elle n’ait évolué.
  • la prévention tertiaire vise à réduire au maximum les invalidités fonctionnelles consécutives à la maladie.

Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas rechercher des TCA alors qu’on interroge nos patients sur le tabac, le cannabis, la sexualité.