Soigner les TCA

Dr Sophie Criquillion-Doublet, psychiatre (Hôpital Sainte-Anne, Paris)

 Pr Jean-Claude Melchior, professeur de nutrition, président du Réseau TCA Francilien (Hôpital Raymond Poincaré, Garches

Une prise en charge précoce, multidisciplinaire et en réseau crée les conditions favorables à la guérison. Peu de patients y ont cependant accès, avec de lourdes conséquences sur l’évolution du trouble et son impact sur leur vie affective, sociale et professionnelle

.LA NÉCESSITÉ PRISE EN CHARGE PRÉCOCE, MULTIDISCIPLINAIRE ET EN RÉSEAU

Les troubles des conduites alimentaires se situent à l’interface du corps et de l’esprit. Quelles vont être les conséquences sur la prise en charge ?

La prise en charge des TCA implique une coordination à différents niveaux. Non seulement une collaboration entre des somaticiens et des psychiatres et/ou psychologues mais aussi, pour assurer une continuité dans le suivi des patients, entre les équipes d’occupant d’enfants, d’adolescents ou d’adultes, ainsi qu’entre les équipes hospitalières et libérales. Les soins des TCA ne peuvent donc se concevoir qu’au travers un réseau multidisciplinaire de thérapeutes interagissant avec le patient et entre eux pour construire un plan de soin adapté à chaque situation et à l’évolution des troubles.

L’hospitalisation est-elle systématique ? Quand devient-elle nécessaire ?

Les soins en hospitalisation temps plein ne sont en aucun cas la règle. Les soins sont, en dehors de l’urgence, toujours d’emblée conduits en ambulatoire. L’hospitalisation devient nécessaire en cas d’urgence somatique, psychologique ou dans une situation où les soins ambulatoires ne permettent pas une amélioration dans un délai acceptable, ou s’ils s’avèrent impossibles.

Il existe en France des zones où l’offre de soins des TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls certains besoins sont couvertsComment faciliter l’action en réseau des différents professionnels de santé impliqués ?

La mise en oeuvre d’un réseau de collaboration locale ou régionale est indispensable pour les patients mais demande de la part des soignants (qui doivent être formés aux spécificités de ces troubles) d’y consacrer un temps considérable et de dépenser une énergie importante. Ce travail devrait être soutenu par les pouvoirs publics au travers de la reconnaissance de structures spécialisées labélisées ayant pour mission de mettre en place et d’animer ces réseaux. Il faudrait par ailleurs que le temps de coordination entre professionnels soit valorisé financièrement comme un temps du soin ; il est aujourd’hui entièrement bénévole.

UNE OFFRE DE SOINS TRÈS INSUFFISANTE, AVEC DE LOURDES CONSÉQUENCES

Une telle prise en charge, multidisciplinaire et en réseau, est-elle accessible pour tous les patients à un coût, un délai et une distance raisonnable ?

Si l’on s’appuie sur l’annuaire réalisé par l’AFDAS-TCA qui a recensé tous les lieux de soins accueillant les patients souffrant de TCA en France spécialisés ou non (cet annuaire vient d’être mis en ligne sur le site de l’AFDAS-TCA), il est clair que non. Il existe en France des zones où l’offre de soins des TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls certains besoins sont couverts (par exemple prise en charge des adolescents mais pas des enfants ou des adultes ou soins somatiques mais pas psychiatriques ou inversement). Par ailleurs, dans les régions, comme en Ile de France où l’offre existe, elle est totalement saturée et ne peut répondre à la demande.

Quels sont les effets des difficultés d’accès aux soins sur l’état de santé des patients ?

La ligne téléphonique « Anorexie Boulimie info écoute » (0810 037 037) et les patients que nous rencontrons après des parcours longs et complexes nous permettent de mesurer les conséquences de cette situation au travers de témoignages de patients : certains ne reçoivent pas de diagnostic et ou de soins adaptés pendant des mois ou des années, d’autres en trouvent à des heures de routes de chez eux et ne peuvent s’y rendre régulièrement, d’autres attendent des mois avant d’accéder à des soins. Cela a de lourdes conséquences : complications somatiques pouvant entrainer la mort et des effets secondaires irréversibles (ostéoporose, infertilité), désinsertion sociale, rupture scolaire et professionnelle, reconnaissance de handicap.

L’IMPORTANCE DU DÉVELOPPEMENT DE LA FORMATION ET DES FILIÈRES DE SOINS

Dans l’idéal, comment l’offre de diagnostic et de soins devrait-elle être structurée (au niveau national, régional, départemental, local) pour prendre en charge correctement les patients ?

Il faudrait que le repérage précoce soit possible et plus rapide au travers des soignants de proximité, avec la possibilité d’un premier niveau de suivi adapté à proximité, ce qui serait permis par des professionnels plus nombreux et mieux formés ; ensuite il faudrait un deuxième niveau de soins spécialisés au niveau départemental ou régional et enfin la possibilité de bénéficier de structures de recours dans des situations difficiles et/ou plus complexes.

Les professionnels de santé ont-il une formation suffisante sur les TCA durant leurs études ?

La formation médicale initiale est de 2 à 4 heures, dans tout le cursus des études de médecine. Certaines spécialités bénéficient d’un complément variable (Psychiatrie, Nutrition). Il existe des Diplômes Universitaires et Inter Universitaires mais ils sont facultatifs et trop peu nombreux. Il faudrait pouvoir intensifier la formation de tous les médecins et des personnels paramédicaux de premier recours pour le repérage, l’évaluation et l’orientation. Celle des spécialistes plus particulièrement concernés devrait être plus conséquente et intégrer un volet sur les soins spécialisés pour les TCA. Les différentes spécialités n’ayant pas spontanément l’habitude de travailler ensemble, il est par ailleurs nécessaire de développer des formations pour que cette connaissance et cette culture du travail multidisciplinaire et en réseau se développent, au service des TCA.

Certains patients ne reçoivent pas de diagnostic et ou de soins adaptés pendant des mois ou des années, d’autres en trouvent à des heures de routes de chez eux.